On reconnaît aisément le style Nasty, propre, témoignage d’un geste fluide. Vestige d’une énième maraude, voilà plus de vingt-cinq ans que Nasty arpente Paris, nourri à cette essence urbaine si particulière et qui depuis toujours, façonne son travail et donc sa vie. Pur produit de la ville comme il aime à le dire, Nasty fait de son brillant passé un présent très réussi, ponctué d’expositions et de collaborations artistiques. Une carrière qui débute aux premières heures du graffiti en France.


1990, l’année où il laisse de coté les marker et commence a peindre a la bombe les rames et les tunnels du réseau ferré parisien, Nasty se dévoile d’une habilité implacable dans la maitrise du registre des couleurs. 
Du rose fuchsia qu’il chérit tant au bleu électrique intense, il est le garant d’une oeuvre résolument éclatante.

Exit la monochromie, pourvu que la pièce se voit de loin et que l’on puisse l’admirer lorsqu’elle file à toute vitesse sur les ponts de la capitale.

Nasty n’en délaisse pas moins la ligne, celle qui délimite des lettres docilement agencées et qui semblent soudainement jaillir en relief des tôles froides des wagons de la première classe. Le trait est confiant, même à la va-vite, surligné intelligemment de highlights.

Qu’il y inscrive l’imparable slogan « T’as le ticket chic » (ligne 6, 1990, pied de nez à la RATP) ou simplement son nom, Nasty et les AEC (pour Artistes En Cavale) témoignent, parmi d’autres groupes également, d’une activité particulièrement dense de la scène parisienne du graffiti de cette époque. Rames de métros, du vénéré terrain vague de Stalingrad à des murs plus visibles, rien n’échappe à cette jeune génération, ouvrière d’un mouvement artistique en pleine expansion.


Mais le tout jeune homme a la fringale et ne se contente pas de vouloir uniquement dérider le paysage urbain. C’est solide d’un nom bien établi dans la capitale que Nasty sort de sa « zone de confort » : dès 1992, les appels du pied des galeristes, comme la jeune Magda Danisz, se font insistants, alors que le graffiti art se montre au grand public à travers quelques initiatives muséales (dont Graffiti Art : artistes américains et français, 1981-1991, Musée des Monuments Français, Paris). Nasty compose alors timidement des toiles où il s’amuse des multiples outils (bombe de peinture, pinceau, calame, marqueur) et des multiples formes que les lettres peuvent adopter. S’il garde précieusement en tête les pages colorées du célèbre Subway Art, reçu des mains de sa mère un beau jour de ses 13 ans, Nasty s’évertue à travailler un style, résolument old-school, mais surtout à créer un impact visuel : les 5 lettres de son nom sont immédiates, lisibles, pures. A l’évidence, les ambiances souterraines du métro qu’il connaît tant lui fournissent ses supports de prédilection : plaques d’émail d’indications, plans du réseau, céramiques des couloirs et même portes de wagons, de ses nuits vagabondes Nasty dérobe par-ci par-là ce qui fait depuis la fins des années 90 sa marque de fabrique. Un peu plus tard, il jette son dévolu sur les bombes de peinture vides, qui une fois aplanies et reliées les unes aux autres, constituent un efficace et inédit support de création.


L’exercice du passage de la rue aux galeries réputé délicat, ce puriste dont la carrière démarre en 1988 se révèle avide de nouvelles critiques. Insatiable, doté d’une surprenante prolificité et d’une constance plastique, l’oeuvre entière de Nasty est en réalité un hommage à la rue, à l’essence urbaine dans ce qu’elle a de plus joyeux à proposer, saupoudrée de cette nostalgie pour les New-Yorkais qui l’ont inspiré. Énergiques, ses productions célèbrent la notion même de simplicité dans l’art : un entrechoc de couleurs, de formes limpides, de supports attrayants, et un discours cohérent. Puisant dans le meilleur de ses racines, Nasty partage avec chacun de nous un condensé des codes de l’art graffiti, et participe justement à ouvrir nos sens vers les fondements du mouvement. Passeur de relais mais pas que, la démarche de Nasty, en s’appropriant ces objets de son quotidien, est un

manifeste pour un art ancré dans le réel, se refusant ainsi toute tentation aux sirènes de l’abstraction. Décidé à ce que son nom circule parmi les générations, au delà des époques et des frontières, Nasty cavale, persiste et signe dans ce qu’il sait faire de mieux.

S. Augusto